S'il avait pu mettre entre lui et le monde la distance Terre-Lune, il l'aurait mise.
S'il avait pu aller plus loin, il y aurait été.
Il avait mis entre lui et le monde la distance qu'il pouvait. Les villes ne le voyaient plus guère, il ne les voyait plus non plus. |
La campagne lui disait qu'elle l'aimait, la terre aussi, il grimpait aux arbres, s'efforçant de voir la mer mais le temps, trop beau, l'aveuglait, le temps d'y voir clair.
Chaque jour était un long chemin, il y rampait, droit et fier, lézard vert annonçant la vipère disaient les vieux, il n'était pas d'entre eux, ne le serait pas, rien à faire, rides ou pas.
L'été allait venir, vint, revint, et revint encore et encore.
Et puis un soir, sur la terrasse, un éclair transperça le ciel, et il sut qu'il ne reviendrait plus.
Qu'un autre, à sa place, reviendrait, et que cet autre, peut-être, lui ressemblerait davantage. Dès lors il avait cherché en vain le chemin du retour, mais plus le moindre Minotaure ne hantait ses labyrinthes pour lui indiquer l'heure, le jour, la route s'il vous plaît. |
C'est par hasard qu'il la croisa au détour d'un ultime été, chaud, trop chaud, un de ces étés infernaux où les paradis, dénudés, se dénudent, exposant leurs lézardes.
C'est par hasard qu'il la croisa et qu'elle le mena au lac. Lui qui ne vivait plus, depuis longtemps, qu'au fond des terres. La terre, les arbres, à peine un petit ruisseau, juste assez clair pour s'y voir et s'y perdre.
Tout ce qui fait ce que tu es C'est tout ce qui m'échappe Ça m'a tenue quelques nuits éveillées Le cœur en écharpe Cigarettes après cigarettes Grillées à la hâte Et dans le film qui se joue dans ma tête Des lumières éclatent |
Elle n'avait pas besoin d'en dire plus : il l'avait reconnue, s'était reconnu en elle comme elle-même, à force de, s'était peu à peu reconnue en ces terres où, comme lui, elle s'était perdue.
« Des lumières éclatent » ? Mieux dire n'était pas possible.
Des semblants de vagues embrassaient les berges du lac, il ne demandait plus la mer, elle non plus, juste une étoile, elle aussi, une étoile rouge ou pas, de mer ou pas, une étoile au ciel d'un lac, qui indiquerait la route à suivre.
Go West?
Dans le jour finissant, elle avait coiffé son Stetson, cow-girl sans 12 cordes, aux mille cordes vocales :
Toute la journée je reste au lit | Que va-t-il arriver... J'pourrais m'habiller m'faire belle Rejoindre les rangs des abeilles Mais je n'en fais rien... |
Le lac était désormais calme, apaisé.
Seule la country-mélodie planait à sa surface, patineuse, libellule murmurant dans le soir cette question toute simple :
Mais où est-ce que j'ai laissé mon coeur ?
Où est-ce que j'ai laissé mon coeur ?
Elle chanta encore, laissant au fil de l'avancée de l'ombre se faire doucement la lumière.
J'ai rayé les autres autour de moi
Et c'était lourd de tirer
Un gros trait
Bien épais
J'y ai cru je me suis laissée prendre
Comme c'était doux de se rendre
Au plus fort
Au plus fou
Je voulais ce que je n'avais pas
Le mirage d' une image
Marcher main dans la main
Tu étais ce que je n'étais pas
Il avait fermé les yeux, elle aussi.
Elle avait presque fini, il le savait.
Tu ne sais pas qui je suis
Mon bel innocent
Tu me vois mieux que je ne suis
Tu vas le coeur tranquille
Et les yeux transparents
Mais mon bel innocent
Mon bel innocent
Pardonne-moi je t'en prie
De n'être pour toujours
Que ce que je suis
Elle s'était tue : tout était dit.
Ce qui passa n'était pas un ange.
Quand ils rouvrirent les yeux, non pas une mais cent, mille, cent mille étoiles leur montraient la route à suivre.
Chacun, du regard, embrassa la sienne, se leva, et dans la direction qu'il avait choisie, fit enfin le premier pas vers ailleurs qu'autrefois.
texte : Antoine MORDON